jeudi 27 décembre 2012

Contradiction capital/individualité

Le marxisme se focalise volontiers sur la contradiction capital/travail s’articulant sur les conflits d’intérêt entre classes sociales. Ce constat est évidemment pertinent mais quid des autre antagonismes générés par cette idéologie ?...



D’autres approches se développent ici et là.
Ainsi, deux auteurs écosocialistes comme l’économiste Jean-Marie Harribey (coprésident d’Attac) et le sociologue Michael Lowy se sont penchés sur la contradiction capital/nature. Ce problème a été approché chez Marx dans le livre 1 du Capital « Chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter les travailleurs, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroitre sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. » Le capitalisme met donc en danger ses propres bases naturelles et humaines d’existence (productivisme).

A l’opposé de certains marxistes qui réduisent la démocratie à une « superstructure » secondaire, l’altermondialiste PatrickBraibant débusque quant à lui la contradiction capital/démocratie en affirmant que « le fait démocratique constitue un type d’institution à part entière» contredisant radicalement les rapports sociaux « qu’impose l’actuelle primauté de la raison capitaliste ». D’autres comme la chercheuse belge Isabelle Ferreras met en évidence combien les salariés entrent en tension avec les formes capitalistes du pouvoir en entreprise ou comme l’économiste Thomas Coutrot qui montre comment « le développement de la « démocratie participative », appelant une extension dans la sphère économique, se heurte aux « fondements mêmes du capitalisme néolibéral » (lobbys, professionnalisation du politique, omniscience des experts, appropriation des canaux de l’information et de la culture).

Enfin, sans pour autant prétendre à l'exhaustivité, la contradiction capital/individualité est également à relever, elle aussi épinglée par Marx dans ses manuscrits de 1844 où il dénonçait l’aliénation capitaliste, appel on ne peut plus clair à l’émancipation de l’individualité ? N’a-t-il pas également qualifié de « vulgaire » le communisme qui promeut « le nivellement des être humains » en « niant partout la personnalité de l’homme »?... Si le capitalisme stimule d’un côté les désirs d’épanouissement personnel il limite au final l’individualité par la marchandisation et entraine autant de frustrations que de souffrances sociales, tant matérielles que psychiques.

Contradiction capital/individualité

Des quatre contradictions relevées ci-avant attardons-nous sur la dernière, celle concernant l’individualité, celle-ci souffrant trop souvent d’un a priori négatif chez nous à gauche. N’est-ce pas une valeur de droite ?... Pas plus que d’autres, comme celle de la liberté par exemple que les libéraux ont tenté de s’approprier et de monopoliser… comme le reste. Pour eux « l’individualisme du XXème siècle a du lutter contre la coalition hétéroclite, mais puissante, du marxisme, de la psychanalyse (1), de la sociologie, de la linguistique et du surréalisme (2). Il finira cependant par s’imposer vers la fin du siècle avec notre triomphe » (Phrase révélatrice trouvée sur un blog libéral).
 (1) par contre la démarche de Michel Onfray dans "Le Crépuscule d'une idole – l'affabulation freudienne" est loin d’être inintéressante…
 (2) surréalisme qu'André Breton définit « automatisme psychique pur ».

Pour Philippe Corcuff (politologue et sociologue, membre du conseil scientifique d’Attac) comme pour bien d’autres penseurs de gauche, « faire de l’individualisme un ennemi à combattre c’est se tromper ». Se tromper d’autant plus si par ailleurs on souscrit à la dialectique historique et à l’émancipation progressive du peuple qu’elle suggère. Le phénomène de l’individualisme contemporain n’est pas le produit exclusif de l’individualisme marchand, il répond aussi à d’autres logiques non réductibles à l’ordre capitaliste : logique d’émancipation aux communautarismes féodaux, logique de la démocratie, des droits de l’homme et du citoyen, de la disparition de la famille patriarcale, etc… L’erreur stratégique par excellence serait de laisser le monopole de l’individu au néolibéralisme ce qui, dans une société fortement individualisée comme la nôtre, reviendrait à se tirer une balle dans le pied.

Si donc nous voulons rendre à l’individualisme le statut de paramètre sociologique normal, et ne plus le considérer uniquement comme élément de propagande libérale, nous devons le rétablir dans le champ de nos investigations et en tirer les conséquences. Ainsi ce ne serait pas faire l’apologie d’une société atomiste que de préconiser la propriété privée d’usage, propriété s’appliquant au logement comme à tout autre bien domestique*. Ce ne serait pas « dépasser » le marxisme que de relativiser la lecture collectiviste qui en a été faite (Marx ne s’est jamais opposé à d’autres formes de propriété privée que celle des moyens de production), ce serait simplement le réactualiser, sinon le réhabiliter…
* Voir petites entreprises artisanales, problèmes d’héritage etc…

Aborder la question de l’individualisme dans le cadre du marxisme n’a donc rien de sacrilège, c’est au contraire un légitime retour aux fondamentaux. Une société équilibrée se doit de prendre en compte tant l’aspect individuel que collectif des êtres qui la composent et afficher clairement cette dimension dans le discours de la gauche ne pourrait que lui être favorable au niveau des adhésions et scrutins. De tous les malentendus handicapant la gauche auprès de son électorat potentiel n’est-ce pas celui se rapportant au statut de l’individu et de la propriété d’usage qui est le plus lourd de conséquence. Levons cette ambigüité et nous exploserons nos scores électoraux.

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