mardi 25 décembre 2012

Le clivage gauche/droite est-il encore d'actualité?

Il est de bon ton aujourd’hui, du moins à droite, d’affirmer que le clivage gauche/droite est dépassé, périmé, obsolète. Qu’est-ce en fait que cette vision manichéenne de la société?…

 

Historique.

Cette bipolarité, formalisée en France lors d’un vote de l’Assemblée Nationale en 1789, s’est étendue au XIXème siècle à l’Europe et à l’Amérique du Sud puis, au XXème siècle, aux pays décolonisés. Même la culture politique britannique, pourtant antérieure et d’origine différente, s’est laissée influencer en abandonnant le clivage libéraux/conservateurs (Whig/Tory) au profit de l’opposition conservateurs/travaillistes.  
Force est de constater que cette représentation du paysage politique, toute caricaturale et approximative qu’elle soit, correspond à une intuition largement répandue qui perçoit clairement un conflit d’intérêt entre dominants et dominés, catégories qui ont évolué avec le temps comme en témoigne la mutation en Grande-Bretagne ci-avant évoquée ou, en France et ailleurs, la rivalité bourgeoisie/aristocratie elle aussi propre à son époque. 
C’est dans le sillage de cette intuition que Marx et Engels ouvriront le Manifeste du Parti Communiste par cette phrase: « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes ».
 
Si cette lutte des classes a pris selon les époques bien des visages, celle d’aujourd’hui revêt une forme particulière héritée de l’apparition de l’individu moderne. Clairement revendiqué à compter du XVème siècle, l’individualisme riposte au « communautarisme », aux traditions et appartenances collectives du Moyen-Âge, véritable chape de plomb étouffant jusqu’alors toute expression d’individualité. La démarche est légitime, l’évolution salvatrice, la Renaissance, les Lumières et les Droits de l’Homme en découleront mais, avec eux, une nouvelle classe dominante, le libéralisme bourgeois, la domination du capital sur le travail, la prolétarisation des masses, etc…
 
C’est de cet individualisme dont les libéraux se réclament. En témoignent les propos d’Adam Smith, père fondateur de leur école: « Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il (l’homme) travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société que s’il avait réellement pour but d’y travailler », phénomène qu’il illustre par la métaphore de la « main invisible » donnant à sa thèse un parfum religieux fort opportun.

 

Aujourd’hui

Le clivage gauche/droite n’est donc pas qu’un simple facilité de langage, une banale vue de l’esprit, il correspond à un choix réel et profond de société. L’être humain, comme tout animal social, se doit de gérer simultanément ses intérêts individuels et collectifs. Ces deux niveaux sont corrélés et partagent en général les mêmes objectifs mais, lorsqu’il y a conflit entre eux, la droite, suivant la logique d’Adam Smith, privilégiera l’individu au nom d’une liberté, d’un égocentrisme prétendus bénéfiques à tous, la gauche pour sa part favorisera la société qu’elle estime inhérente à notre condition, à notre espèce. En fait, en cas de conflit d’intérêt entre individu et collectivité, un choix est à faire : privilégier l’un ou l’autre, il n’y a pas d’autre alternative. C’est à ce constat que le réformisme propre à la sociale démocratie ne résiste pas.

Aujourd’hui le libéralisme, principale composante de la droite, a failli ; faudrait-il pour autant « brider » l’individu? Une lecture rapide de Marx pourrait laisser croire que celui-ci favoriserait cette option, et pourtant… N’est-ce pas lui qui qualifiait de « vulgaire » le communisme qui promeut « le nivellement des êtres humains » en « niant partout la personnalité de l’homme » (Manuscrits de 1844)? Il faut se méfier des analyses idéologiques, celle de Marx a souvent été déformée par une lecture plus marxiste que marxienne, ainsi que par une caricature partiale de ses opposants, toutes deux enclines à mettre en exergue l’approche exclusivement collectiviste.

 

Oui mais !...

Il faut aussi se méfier des habitudes de pensée qui s’installent parfois dans une fausse évidence et abusent ainsi la raison. La formule « clivage droite/gauche » est facilement préhensible par tout un chacun dans le cadre de la lutte des classes mais est-elle vraiment pertinente?... Bien entendu il ne s’agit pas ici de reprendre les arguments de droite qui prétendent que la gauche n’existe plus, que le libéralisme est la fin de l’histoire.

Au regard de la lutte des classes ce clivage est limpide : deux classes s’affrontent au motif d’intérêts contradictoires. L’approche est sociologique comme l’est d’ailleurs toute la conception matérialiste de l’histoire. Mais, et voici le « mais », n’est-il pas encore plus important de comprendre le « pourquoi » de ces classes plutôt que le « comment » ?...

Ainsi que développé plus haut nous savons que l’espèce sociale qu’est l’être humain a deux intérêts à défendre de front : l’individuel et le collectif. Cette dualité évidente s’accorde naturellement au clivage droite/gauche en ceci que la droite est plutôt individualiste et la gauche d’avantage collectiviste. Une différence fondamentale sépare toutefois ces deux approches : le clivage droite/gauche suggère un affrontement,  la dualité individu/société un équilibre. Voilà une approche qui comblerait les bonnes âmes centristes…

Il n’est évidemment pas question ici de minimiser et encore moins de réfuter la contradiction des classes,  celle-ci reste entière et relève de l’organisation de la société, de la sociologie, la dualité d’intérêt  relève quant à elle de la condition humaine, de l’anthropologie. En d’autres termes nous pouvons considérer que les classes ont été engendrées par le ratio des valeurs individuelles et collectives adopté par tout un chacun, les uns privilégiant l’individu et/ou ses groupes d’appartenance, le autre la collectivité au sens le plus large.

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